Quand on ne me donnait plus les doses gratuitement, pour pouvoir continuer à me droguer j’avais besoin par jour d’un salaire mensuel d’un ouvrier moyen. Je n’avais jamais eu autant d’argent, mais je ne pouvais plus m’arrêter. Vous comprenez, j’étais devenue accro. Sans la drogue la vie avait perdu son sens. Et ce qui est très important, j’aimais bien cet état: bonne humeur, la joie artificielle…
«Les gens sympas», qui m’ont fait connaître la drogue, ont commencé, l’air de rien, à me suggérer de différentes solutions pour trouver de l’argent. Criminelles, évidemment. On me présentait aux personnes qui avaient besoin d’une jeune et énergique assistante pour réaliser leurs combines. Bien sûr, on ne me proposait pas d’aller voler et cambrioler, connaissant mes opinions à l’époque, il s’agissait surtout des arnaques ou d’achat et revente.
À cette époque-là il y avait un déficit de tout: des vêtements, des meubles, d’électroménager. Dans les magasins il n’y avait rien, tout partait en dessous du comptoir avec surenchère. Un gars rentre dans un magasin et dit qu’il a trouvé une pièce pour un poste de radio, petite, mais chère, et propose au vendeur de l’acheter parce qu’elle est rare. Un vendeur refuse, ne connaissant pas la valeur exacte du bien, mais une jeune fille se trouve par hasard à côté, et en entendant ce qu’on propose, se mêle dans la discussion. Elle promet de payer 50% plus cher, mais dit qu’elle n’a pas d’argent sur elle et qu’elle doit aller le chercher. Elle supplie le gars d’attendre, mais il ne peut pas, il est très pressé. D’habitude le vendeur finit par acheter cette pièce (qui coute peu en réalité) pour le prix que le jeune homme a proposé, après quoi il attend que la jeune fille revienne pour lui racheter le bien en question pour un prix plus important.
Ce n’est qu’un exemple de la multitude des arnaques similaires. J’aurais même pu travailler avec les pickpockets professionnels, leurs prendre le portemonnaie après qu’il est volé pour le sortir du bus, j’ai eu encore beaucoup d’autres propositions. Mais du point de vue de la morale je ne pouvais pas accepter de le faire. Je m’imaginais qu’une jeune fille attend après avoir perdu plus d’un salaire mensuel, puis pleure et devient folle de rancune. L’argent moyennant la souffrance de quelqu’un ne pouvait pas me satisfaire, j’ai toujours eu de la gentillesse et de la compassion envers les gens.
Pendant deux-trois mois ils me soumettaient à des tentations diverses de trouver de l’argent rapidement, mais ils continuaient quand-même à me faire des petites injections, cependant de plus en plus souvent à mon arrivée ils n’avaient pas de quoi me piquer. On était en train de me mettre le dos contre le mur.
Plus tard j’ai rencontré des gens qui volaient l’état. À l’époque on disait «tout ce qui est à l’état appartient à tout le monde». Et c’est ce flou de compréhension qui m’a fait partir sur le mauvais chemin. Dans ces affaires-là on payait avec ses nerfs, et non pas avec l’argent. Au final, tout était mis en pertes, et des collaborateurs de cette même institution travaillaient avec nous, c’est eux qui fabriquaient des faux documents. Les chaînes n’étaient pas longues, 3-4 personnes, mais les gens étaient vérifiés dix fois, on ne mettait pas au courant les personnes d’extérieur, car en cas de prise en flagrant délit on risquait gros, jusqu’à la condamnation à être fusillé. Les premiers temps c’était très désagréable, mais le poison et l’argent faisaient leur effet. La dose augmentait, le cerveau s’embrouillait et je ne me rendais plus complètement compte de ce que je faisais.
La plus grande joie dans la vie c’était l’opium. Il permettait d’évacuer la tension nerveuse résultant de la recherche d’argent. En rentrant à la maison, je me faisais des injections, me détendais, me reposais avec des amis, puis avec mon mari. Il savait que je n’avais pas besoin qu’il m’offre des fleurs, des diamants et je ne sais quoi d’autre. Ce n’est qu’en réussissant à bien acheter de l’opium il savait que je serais contente, j’applaudirais et lui offrirait des caresses, dont j’étais gourmande. Non, les toxicomanes ne sont pas indifférents au sexe. On aimait le sexe et savait faire, mais à cause de la tension permanente on le remettait souvent à plus tard. Surtout moi, car lui, il ne prenait jamais pas de risques à l’exception des cas où il allait chercher lui-même de l’opium. C’est à cette période-là que j’ai abimé mon système nerveux. J’ai commencé à péter les plombs, crier, faire des scandales.
Je m’enrichissais rapidement, je suis devenue indépendante, mais rien ne me réjouissait dans la vie: ni l’or, ni les vêtements. J’avais des moyens d’acheter des maisons, des voitures, mais je ne pouvais pas le faire, on aurait aussitôt eu un contrôle de police et de la brigade de la lutte contre les vols de la propriété socialiste, et on serait obligé de justifier la provenance de l’argent jusqu’au dernier centime. Même venir en taxi jusqu’à la maison c’était dangereux, les voisins pouvaient dénoncer et on serait venu chez moi pour demander: «Ou t’a pris l’argent?». Pour le confort, quelqu’un que je connaissais me conduisait avec sa voiture qui était tout le temps garée devant la maison. Je lui payais par jour un salaire moyen mensuel. À ce temps-là l’argent ne pouvait que rester dans des sacs… De plus, rien ne me faisait envie.
Elle n'avait jamais été indépendante.
À la vie, il faut payer pour tout...
Elle aurait mieux à dépenser ces argents pour le traitement que pour l'héroïne.